Partie 3. Les arrivées européennes dans l’histoire de l’actuel Bénin 

Source : ouvrage d'Alexandre d'Albéca, administrateur du comptoir français de Ouidah, il est l'auteur de plusieurs ouvrages et articles sur les côtes du Bénin ; certains sont illustrés de gravures d'après des photographies dont il n'est pas certain qu'elles soient toutes de lui...


Dans ce troisième billet, nous abordons une période sombre  de l’histoire du Bénin : celle des premières interactions avec les puissances européennes et du commerce d’esclavisés. Cette époque, qui débute dès le 15ᵉ siècle, a marqué un tournant dans l’histoire des royaumes de l'actuel Bénin avec des impacts profonds sur leurs structures politiques, économiques et sociales. 

L’arrivée des Européens : une nouvelle dynamique mercantile 

La Côte de l'Or : d'abord des comptoirs, pour un intérêt commercial de l'Or
Au 15ᵉ siècle, le Royaume de Portugal tente de concurrencer les circuits sahariens et soudanais de l'or. 
Alors commence le détournement du commerce saharien au profit des comptoirs portugais : « caravelles contre caravanes ». 
Premiers navigateurs européens à longer les côtes africaines, les portugais à la recherche des zones de production d'or, fondent da Mina en 1482. 
Puis des territoires colonisés..

Le Traité de Tordesillas est signé entre l'Espagne (union dynastique des royaumes de Castille et d'Aragon) et le Portugal, conclu le 7 juin 1494 à Tordesillas (royaume de Castille) sous l'égide du pape Alexandre VI, afin de diviser le Monde entre une zone réservée à l'Espagne et une zone réservée au Portugal, dans le cadre du processus des grandes découvertes.

Dès le 15ᵉ siècle, les explorateurs européens, principalement portugais, puis hollandais, allemand, danois, suèdois, français et britaniques, ont commencé à établir des comptoirs sur la côte ouest-africaine. Ils étaient attirés par les richesses de la région, notamment l’or, les épices, l’ivoire...
Les royaumes côtiers, comme Allada, Porto-Novo et plus tard le Dahomey, ont rapidement compris le potentiel économique de ces échanges commerciaux. 

De la Côte de l'Or, à la Côte des esclaves

Les forts africains de la Côte de l'Or furent, dans un premier temps sont organisés par les Européens pour réduire au maximum le temps des expéditions commerciales, et ainsi le risque des maladies tropicales : organisé comme un château féodal, il était par ailleurs abrité des moustiques porteurs de paludisme et de fièvre jaune, et permettait une escale pour des soins et des réparations.

Jean-Baptiste Labat Comptoirs des_Européens à Xavier (lire Savi)

Au début, les administrateurs des forts européens sollicitent quelques esclavisés pour aider dans les comptoirs mais rapidement pour les amener dans les colonies de l'Amérique du Sud (comme au Brésil). On parle alors d'un système commercial et de la Côte des esclaves...

Carte dressée par F. Borghero, missionnaire... 1865 Borghero, Francesco (1830-1892).

Le rôle des royaumes dans le commerce triangulaire 

Dans un premier temps, les royaumes locaux utilisaient le commerce des esclavisés pour renforcer leur propre pouvoir. Les captifs, vendus aux marchands européens en échange d’armes, de textiles et de biens manufacturés,  étaient d'abord et avant tout des prisonniers de guerre, issus de conflits locaux, ou des individus accusés de crimes. 
Encouragés par la demande croissante des Européens, les royaumes se sont engageant dans des guerres pour capturer des prisonniers destinés à être vendus. Ces conflits ont contribué à intensifier les rivalités entre les royaumes voisins. 
  • Allada, avec son accès privilégié à la côte, fut l’un des premiers royaumes à tirer profit de ce commerce. Sa position stratégique lui permettait de contrôler les routes commerciales menant à l’intérieur des terres. 
  • Porto-Novo, grâce à son emplacement sur les rives d’un lagon, devint un centre logistique majeur pour les marchands européens. 
  • Le Dahomey, avec son expansion militaire et son administration centralisée, devint l’un des acteurs les plus redoutables de cette époque. Ses célèbres Amazones jouaient un rôle clé dans les campagnes militaires, capturant des prisonniers. Le Danhomè se renforce : il devient une puissance régionale au 18e siècle en conquérant des villes clés sur la côte Atlantique, en particulier le port de Wida ou Ouidah et aussi il cesse d'être tributaire du royaume d'Oyo et devient un centre de la traite transatlantique en fournissant, comme bien d'autres états de la région, de nombreux esclaves.

Les impacts économiques et politiques 

Le commerce d’esclavisés a transformé la dynamique politique et économique des royaumes béninois. Les armes obtenues grâce à ces échanges ont renforcé les armées des royaumes, leur permettant d’élargir leurs territoires et d’intensifier leur contrôle sur les populations locales. Cependant, cette richesse avait un coût : elle accentuait les inégalités et les tensions internes. 
Pour les royaumes comme le Dahomey, l’économie était de plus en plus dépendante de ce commerce. Les dirigeants se trouvaient dans une situation délicate : ils étaient à la fois des partenaires commerciaux des Européens et des protecteurs de leur territoire face aux menaces coloniales émergentes. 

Les premiers effets sociaux 

Le commerce d’esclavisés a eu des répercussions dévastatrices sur la population locale. Des familles entières étaient séparées, des communautés disloquées, et des générations entières déracinées. Ce traumatisme social a laissé des traces profondes, visibles encore aujourd’hui dans les traditions orales et les mémoires collectives. 
Les rivalités entre royaumes se sont également intensifiées, les conflits devenant de plus en plus violents. Les royaumes plus faibles étaient souvent attaqués et absorbés par leurs voisins plus puissants, alimentant une instabilité croissante dans la région. 

Les lieux marquants de cette période 

Certains sites au Bénin portent encore les traces de cette époque tumultueuse : 

  • Ouidah, connu comme l’un des principaux ports d’embarquement des esclaves, est aujourd’hui un lieu de mémoire. La "Route des Esclaves" et la "Porte du Non-Retour" rappellent le départ forcé de milliers de captifs vers les Amériques. 
  • Abomey, la capitale du Dahomey, conserve des témoignages de cette période dans ses palais royaux. 

L’équilibre entre collaboration et résistance 

Si certains royaumes participaient activement au commerce, d’autres ont résisté à l’influence européenne. Des chefs locaux ont tenté de préserver leurs communautés en limitant leur participation ou en détournant les routes commerciales. Cependant, face à la demande croissante des Européens et à la pression militaire des royaumes comme le Dahomey, ces résistances étaient souvent écrasées. Cette période souligne la complexité des interactions entre les royaumes béninois et les puissances européennes. Les alliances étaient souvent temporaires, dictées par des intérêts économiques et politiques fluctuants. 

Ce que cette période m’inspire 

Lorsque je réfléchis à cette période, je suis frappée par l’ambivalence des royaumes béninois face au commerce d’esclaves. Ces sociétés, riches d’une culture et d’une organisation impressionnantes, ont dû composer avec une réalité brutale imposée par des forces extérieures. Je ressens une profonde tristesse en pensant aux vies brisées et aux communautés dispersées, mais aussi une admiration pour la résilience des peuples qui ont traversé cette époque. Les récits que j’entends à Ouidah ou à Abomey me rappellent combien il est essentiel de reconnaître les multiples facettes de cette histoire. Elle n’est ni noire ni blanche : elle est complexe, nuancée, et profondément humaine. 

Une série pour honorer toutes les voix 

SOMMAIRE 
Il y a 3000 ans : 
Partie 1 : Les racines des peuples de l’actuel Bénin : 
Les Adja Tado 

Vers 1620 : 
Partie 2 : La naissance des grands Royaumes du Bénin actuel 

À partir de 1450
Partie 3 : Les arrivées européennes dans l’histoire de l’actuel Bénin  


1894 -1959 :
Partie 4 : La période coloniale française du Dahomey  

1960 - ...
Partie 5 : De l’indépendance à aujourd’hui : L’émergence de la nation du Bénin
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